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Semaine des lecteurs – Louie, tuer le clown

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par Robin Andraca

- Louie: I’m a comedian.
- Jack Doll: You're a comedian? I've known you for a week end and you haven't made me laugh one. I had no idea you were a comedian. I thought you were a newsman".
- Louie: I'm not a newsman; I'm a comedian, Jesus...
- Jack Doll: All right, let's see it.
- Louie: See what ?
- Jack Doll: See the funny, make me laugh. Go !
- Louie: Go ?
- Jack Doll: Go ! Funny ! 3, 2, 1 ! Go !
- Louie: I'm not that kind of funny.
- Jack Doll: What kind of funny ?
- Louie: That kind of you say "Go" and I'm funny. There are different kinds of funny, right? Different kind of performance, I'm not that kind of performer.
- Jack Doll: Let me tell you what kind of what you are. You are whatever you have to be to make people laugh. Anytime, anywhere, anyone.

Il y a aurait certainement des dizaines de choses à dire, des dizaines de façons de regarder cette série, créé par Louis CK il y a trois ans et diffusée sur FX depuis. Certaines ont d’ailleurs déjà été dites ici. Mais il nous a semblé intéressant, à l’aune de cette conversation entre deux des artistes les plus influents du moment (Louis CK et David Lynch), de nous pencher une fois de plus sur le cas de Louie et de se poser les questions suivantes : quel genre de comique est donc Louis CK et quel humour souhaite-t-il défendre avec cette série aux allures de manifeste ? En reprenant Louie depuis son premier épisode, en analysant sa trajectoire (plus réfléchie qu’elle n’en a l’air), nous nous intéresserons à la disparition progressive de l’humour et l’éradication du rire dans cette série.

« So, where do you wanna go? »

Au départ, on se dit qu’on a déjà vu ça quelque part. Les allers retours incessants entre la scène et le quotidien, les blagues graveleuses, les histoires de cul compliquées, la branlette, la lâcheté et la difficulté d’élever un enfant seul : en important directement les problématiques qui ont fait son succès sur scène dans le réservoir de Larry David (et sa série Seinfeld), Louis CK, le réalisateur, a aussi trouvé la forme la mieux adaptée à son projet télévisuel.

L’échec de Lucky Louie, développée sur HBO et abandonnée par la chaîne après une seule saison de 13 épisodes, aurait pu porter un coup fatal aux ambitions câblées de l’humoriste. Il faut croire que Louis CK avait quelque chose d’autre, quelque chose de mieux à dire et Louie semble en être la preuve vivante. Rapidement pourtant, la série brouille les pistes et se détache de sa forme initiale, déjà vue ailleurs. Le premier épisode de Louie, et le petit différend qui oppose Louie à un conducteur dans un car scolaire, est, à cet égard, particulièrement révélateur :

- The driver: « So, where do you wanna go ? »
- Louie: “What ?
- “You wanna go somewhere… Where do you wanna go ?
- “I don’t know”.
- “Okay, how do we get there ?
- “What ?
- “How do we get there ?
- “Just take the Westside highway and I’ll find out”.

Après avoir heurté un pont, le bus se range sur le côté, au milieu de nulle part, le conducteur sort du bus et s’enfuit, laissant Louie tout seul au volant d’un engin qu’il ne sait, à l’évidence, pas contrôler. La série y trouve là une subtile métaphore, la justification même de son dysfonctionnement perpétuel. Au fil des saisons, Louis CK va s’amuser à déconstruire, à détruire son jouet pour mieux se rapprocher de cette destination, qu’il parvient enfin à rejoindre à la toute fin de la saison 3 (nous y reviendrons).

Le sens du contrepied est un outil majeur de la série, et de son créateur : dans le même épisode, décidément fondateur, Louie attend devant une porte close une jeune femme pour l’emmener au restaurant. Cette scène, celle d’un homme anxieux avant un rendez-vous, a déjà été vu des millions de fois, à la télévision ou au cinéma. Une autre porte s’ouvre alors, derrière notre personnage, et une vieille femme, intimidante et exhibitionniste en sort.

Ces tours de magie, absurdes et teintés de mélancolie, Louis CK en sort régulièrement de son chapeau. Ces dérapages, au milieu d’un tableau d’ordre classique, sont à la base du travail de l’humoriste depuis de nombreuses années : il ne fallait pas non plus gratter beaucoup dans Lucky Louie pour découvrir, sous le vernis d’une famille américaine classique et colorée, une tristesse sans fond.

La mécanique de la série ne met donc pas très longtemps à désobéir. Dès la première saison, l’aller retour entre les passages sur scène et les scènes de vie quotidienne se fait de moins en moins et laisse voir des pans entiers de moments sincères où l’humour, bien que traqué, épié, n’apparaît jamais. L’épisode 9 de la saison 1, où Louie est humilié verbalement  par un jeune lycéen pendant un rendez-vous amoureux est le premier d’une longue série où le réalisateur se plaît à naviguer dans des territoires où l’humour n’a plus aucune place, semble banni. Un dangereux aspect kafkaïen semble également se dégager dans l’épisode 4 de cette même saison. Comme un symbole, lorsque Louie se produit sur scène à la toute la fin de la première saison, son propos (une longue tirade sur le divorce et la masturbation) est dénué de tout humour. La complainte semble sincère, l’humoriste s’efface déjà.

 

“I’m leaving you”

En littérature, il est question de pacte de lecture, d’un lien que le narrateur est censé tisser avec le lecteur, de préférence dans les premières pages du roman. Il faut attendre le septième épisode de la saison 2 pour que le spectateur puisse nouer un tel pacte avec le réalisateur. Louie interprète alors le rôle d’un homme blanc, marié, casquette à l’envers, dans un mauvais soap américain, enregistré en public.

Au terme d’une scène où lui et sa femme se disputent gentiment dans la cuisine à propos d’un stupide décapsuleur, la femme se tourne vers son mari et lui dit « je t’aime ». Louie sort alors complètement de son rôle et interroge l’actrice sur le sens de sa réplique. Incapable d’improviser, l’actrice demande de l’aide au réalisateur qui coupe la scène. A part, le dialogue entre Louie et le réalisateur révèle l’essence du projet de Louis CK :

- I thought we were gonna do a show about marriage, like a really honest real show.
- Louie, the show is gonna be great.
- No, it’s not ! It’s gonna suck, like every show on television. We are making all the same mistakes. We can’t have a show where everybody say whatever ‘cause it’s cute!
- Okay, okay, look, what would you want to say to her ?
- What I would want to say ?
- Yes, you see the table is right here and then what does she see ?
- I’m leaving you.
- That’s not funny !
- Yes it is ! That’s hilarious ! Come one ! I’m leaving you ! And then she leaves, and she takes the kids and then this dude has to finally face himself because she’s gone and there’s nobody else to be an asshole to but himself. Don’t you wanna do that show ?! Wouldn’t you love to do that show ?!

Ce show, dont il est question dans cette scène, est exactement celui que Louis CK essaye de réaliser depuis maintenant plusieurs années. Louis CK donne ici une définition claire et nette de son travail de réalisateur. Brouillon, Lucky Louie s’était pourtant attaché à démonter une certaine vision de la famille aux Etats-Unis. Louie va plus loin et montre l’odyssée d’un quarantenaire divorcé et désabusé, qui fait rire à ses heures perdues.  Louie est assurément l’œuvre d’un homme en pleine possession de ses moyens. Dans la saison 3, qui vient de s’achever aux Etats-Unis, Louis CK n’a certainement jamais été si proche du but.

Fin de partie

Si les éléments qui ont fait le succès de la série sont encore au rendez-vous, cette saison 3 s’envole enfin vers de nouveaux horizons. La fuite en avant, menée par Louis CK depuis le premier épisode de la série, conduit enfin son auteur quelque part, où l’humour est absent. Dans l’épisode 7, la conversation téléphonique entre Louie et Sarah Silvermann (décidément irrésistible) permet surtout à Louis CK de superposer à l’écran, sur la même image, les deux facettes de son personnage. Plus encore dans cette saison que dans les autres, l’humoriste s’efface progressivement devant le père de la famille et l’homme seul. Au milieu de l’océan, dans lequel se perd Louie à la fin de l’épisode 8, voilà certainement où Louis CK a choisi de noyer son avatar.

Dans le dernier épisode de la saison, alors que la trilogie consacrée à Letterman vient de s’achever, Louie prend une nouvelle fois ses bagages. Dans le bus pour l’aéroport, il croise une jeune femme rencontrée quelques semaines auparavant (ou quelques années, tant la temporalité ne semble n’obéir à aucune règle dans cette série). Il se lève, elle se rapproche de lui, elle commence à vaciller à saigner du nez et l’instant d’après elle est sur un lit d’hôpital, en train de mourir.

La séquence qui suit, déjà évoquée sur ce blog, permet à Louie de mettre en scène le contraste qui scinde la série en deux depuis sa création : à la joie de ceux qui se souhaitent la bonne année succède la tristesse d’un homme désespérément seul, que ce soit dans un hôpital ou sur scène. L’acte final de Louie dans cette saison est, à ce titre-là, éminemment symbolique : en prenant un billet d’avion pour la ville de Beijing, en atterrissant dans un pays dont il ne parle pas la langue, Louis CK place son personnage dans un environnement nouveau, étranger, où l’humoriste n’a absolument aucun rôle à jouer.  Le clown est mort. Vive le clown !

(Photos: FX)


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